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La soie en Touraine

Au milieu du XVIe siècle, il existe en France deux grandes manufactures de soieries : Tours et Lyon. A Tours, 40000 personnes vivent de cette industrie, 500 ateliers sont en activité et on dénombre 8000 ‘’métiers battants’’. A Lyon, une sorte de ‘’spécialisation familiale’’ se met en place, ce qui donne une excellente compétence professionnelle. Tours et Lyon entrent en concurrence. Les 30 ans de guerre de religion n’arrangent pas les affaires de la Cité tourangelle qui voit le nombre de ses ‘’maîtres-ouvriers’’ en soie divisé par quatre et celui de ses compagnons par cent. La paix revenue en 1589 avec Henri IV, l’industrie de la soie connaît un nouveau souffle. Soucieux de dynamiser l’économie en général et celle de la soie en particulier, le roi aidé par l’économiste Barthélemy de Laffemas et par l’agronome Louis XI.

Olivier de Serres, lance un vaste programme de plantation de mûriers près de Tours et de développement d’ateliers. 

Sous le règne de son fils Louis XIII, le cardinal Richelieu continue à impulser un développement important à l’industrie de la soie : 20000 ouvriers actionnent 8000 métiers à Tours qui vit un nouvel apogée dans sa vie de ‘’Cité de la soie’’. 40000 personnes sont nourries grâce à la prospérité ‘’soyeuse’’ qui anime ‘’la cité aux trois tours’’. On compte 700 moulins à dévider et 3000 métiers de rubanerie et passementerie. Les dirigeants de la corporation des fabricants forment une bourgeoisie de notables au sein de laquelle des noms vont marquer l’histoire de la soie en Touraine : Pillet, Roze, Viot, Simon, Abraham. 

Toutefois, la qualité de la soie est encore médiocre et il est nécessaire d’importer Le Camp du Drap d’or 

pour satisfaire la demande. 

La Fronde contrarie l’industrie de la soie, heureusement l’avènement de Louis XIV qui veut des soieries pour Versailles et la Cour, redonne ses lettres de noblesse à ce tissu très apprécié. Son ministre Colbert avec sa politique protectionniste et la rigueur des règlements qu’il applique aux manufactures et en particulier à celle traitant la soie (quantité et qualité des fils, largeur des laizes, strict contrôle pour éliminer la fraude) permet à Tours de traverser une période de prospérité. 

Les damas, les brocarts, les velours et les taffetas de Tours sont connus et réclamés. Le rigorisme et le mercantilisme de Colbert ont été payants. Eleveurs de vers à soie dans les ‘’verreries’’ ou ‘’verries’’ souvent troglodytiques, fileurs, tisseurs, brodeurs et marchands, tous profitent de cette bonne période. 

Mais la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 provoque l’exode des protestants tourangeaux (ils sont 1200 à cette date à Tours) vers la Suisse, la Hollande, les Etats allemands et l’Angleterre. Ils y apportent capitaux et savoir-faire, rani- ment la concurrence et ruinent une partie de la manufacture de soieries de Tours qui ne possè de plus à la fin du XVIIe siècle que 1200 métiers 

Planche d’échantillons tourangeaux faisant vivre 4000 personnes. C’est le déclin. du XVIIIe siècle 

Une reprise d’activité se fait jour sous Louis XV grâce à deux hommes : Orry (contrôleur général des manufactures) et Du Cluzel (intendant de la généralité de Tours). Tous deux favorisent la culture du mûrier, la sériciculture et 

la préparation de l’organsin. 

La manufacture de Tours devient, en 1739 sous la direction de Hardion : ‘’Manufacture royale de velours et de damas façon Gênes’’. La qualité des produits est très bonne. Le Duc de Choiseul les utilise pour orner son château de Chan- teloup de tentures, panneaux et rideaux somptueux. 

Malgré ces efforts, le péril est loin d’être écarté. La soie tourangelle est, de plus, concurrencée par les toiles peintes et étoffes des Indes très à la mode. Le nombre de métiers ne cesse de baisser sous le règne de Louis XVI et la Révolution de 1789 parachève la ruine de Tours dans son entreprise soyeuse. 

Le Premier Empire ne rend pas son lustre à la ‘’Cité de la soie’’ malgré le préfet Pommereul dont les efforts favorisent une petite remontée du nombre des métiers (175 en 1814). L’Empereur se tourne vers Lyon pour les commandes d’Etat. 

Le métier Jacquard va donner, au milieu du XIXe siècle, un nouvel essor à la soie tourangelle. Les manufactures Pillet-Roze, Croué et Fey-Martin redonnent à Tours un certain prestige en rempor- tant des succès mérités aux expositions de Londres en 1852, Paris en 1857 et Saint-Louis (Etats Unis) en 1904. Les étoffes de soie de la cité ligérienne sont aussi récompensées aux expositions universelles de 1867 et 1878. A la fin du XIXe siècle, une importante exportation vers l’Angleterre et l’Amérique existe grâce aux 800 ouvriers soyeux qui s’activent à Tours. En septembre 1904 on inaugure l’hôtel de ville dessiné par Victor Laloux. Pour la décoration intérieure, la manufacture Combe et Delaforge tisse une pièce de soie verte de toute beauté nécessitant une excellente technicité. 

Tout au long du XXe siècle, deux manufactures se sont particulièrement distinguées : les tissages ‘’Roze’’ et celle des Trois Tours ‘’Le Manach’’. Le progrès majeur a été l’utilisation comme nous l’avons dit, du métier mécanique mais sans l’abandon du métier à bras néces- saire à la réalisation des tissus d’ameublement et en particulier des ‘’brochés’’. Les maisons Roze et Le Manach font partie des rares entreprises capables de reproduire de magnifiques pièces de brochés ou de sublimes brocarts d’or ou d’argent dont la destinée s’accomplira dans les châteaux, les palais et toutes les demeures chargées d’histoire. 

La famille Roze s’installe à Tours au milieu du XVIIe siècle en la personne de Jehan Baptiste Roze (dont le portrait peint par Largillière est visible au musée de Tours). Les Roze se lient par mariage, au cours des siècles, aux autres familles de soyeux tourangeaux et traversent les périodes de tourmente (Révolution de 1789, crise de 1929, conflits mondiaux) en sachant s’adapter. Lorsque le ciel s’éclaircit, ils innovent (métier Jacquard, machine à vapeur). Une mécanisation intelligente s’enracine, tout en conservant l’usage des métiers manuels et surtout un savoir-faire de haute technicité qui, doublé d’un ‘’fonds’’ de tissus anciens, permet à la maison Roze, dirigée alors par Antoinette Roze, de satisfaire les commandes pour le palais de Buckingham, le château de la famille Rothschild en Grande-Bretagne, les palais des souverains hollandais, ceux des émirs de la péninsule arabique et l’Elysée, entre autres. 

La Gazette n° 44 - novembre 2007 - page 6 

La maison Le Manach fondée en 1829 est installée depuis cette date dans un ancien relais de poste datant du XVIIIe siècle. Cette maison à la marque des ‘’Trois Tours’’ depuis 1955 est une manu- facture, car cet établissement regroupe sous le même toit, toutes les opérations nécessaires à la fabrication d’une pièce de soie : arrivée du fil, dévidage, ourdissage, pliage, enlaçage, lissage, piquage, tordage... Mécanisation, technicité, savoir-faire mais aussi possibilité de tisser sur des métiers à bras, ‘’fonds’’ de documents datant du règne de Louis XIII offrent de nombreuses ouvertures à la manufacture Le Manach dans l’ancien et le contemporain. Les châteaux de Compiègne, Vaux le Vicomte, Fontainebleau, la Malmaison, Sans-Souci à Posdam, le musée Paul Getty à Los Angeles, parmi d’autres, illustrent magnifiquement l’éventail des qualités exposées ci-dessus. 

Tours, Cité de la soie, mérite bien son nom. Douze générations de soyeux dans la famille ‘’Roze’’ de l’origine à nos jours, cinq dans celle 

Equipe d’ouvriers de la Manufacture Roze en 1897 

de ‘’Le Manach’’, ont œuvré pour cette superbe matière. Courageux, inventifs, passionnés par leur métier d’artiste au sens propre, amoureux de la Touraine, les soyeux se sont succédés en apportant chacun leur pierre à l’édifice. Dans la prospérité comme dans la difficulté, ils ont progressé, brillé, souffert pour parvenir jusqu’à nous et nous laisser un patrimoine en matériels, tissus, dessins, savoir-faire... qui fait partie de la culture industrielle régionale, nationale et mondiale.

Chantal CIRET

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