Restauration de trois métiers à bras de passementerie
Lors de la cessation d’activité de sa manufacture de passementerie intervenue en 1987, M. Jacques Bassereau a fait don à l’association de différents matériels dont trois métiers à bras de passementerie : un métier à ruban de haute lisse et à retours. un métier à franges torses un métier à crêtes Ces matériels avaient été déménagés dans la précipitation alors que les démolisseurs commençaient leur travail. Ils ont d’abord été transférés dans un hangar industriel, puis dix ans après, dans un autre local plus exigu, et il était à craindre que ces transports successifs ne se traduisent par la perte de certains composants en mauvais état, parfois proches du délabrement. Heureusement, il n’en fut rien et les différents éléments de ces trois métiers bien que dispersés parmi tous les matériels, ont été retrouvés au complet, malgré des transferts effectués dans la rapidité avec du personnel non spécialisé.
L’association a fait appel à un expert, Monsieur Guy Scherrer, ingénieur des mines et spécialiste des métiers à tisser. Immédiatement il a remarqué la présence du métier de haute lisse et à retours, soulignant que ce métier datait d’avant 1800 et était l’un des seuls exemplaires encore complets existant en Europe. Ce type de métier est connu par la description qu’en ont fait d’une part Réaumur dans les années 1720, puis Diderot dans son encyclopédie de 1865 écrivant à ce propos « ...C’est ici ce qu’il y a de difficile à faire comprendre par écrit, car même en le voyant sur le métier, à peine y comprend-on... » Ce métier, très répandu dans les régions de passementerie a disparu dans les années 1810-1820 avec l’apparition de la mécanique Jacquard, beaucoup plus simple à utiliser.
La restauration de ces métiers a été menée en trois phases bien distinctes : Une phase d’analyse et de démontage qui a concerné les trois métiers, Une phase de restauration de la menuiserie, concernant les trois métiers. Une phase de remontage étalée dans le temps : En 2000, le métier de haute lisse et à retours, En 2006, les deux autres métiers.
A) Analyse et démontage
Cette première phase, menée par M. Scherrer, a permis d’analyser les données existantes sur les métiers, puisque des restes de montages anciens étaient encore en place. Cette phase primordiale, car conditionnant le remontage, a demandé près de 5 jours de travail, nécessitant de nombreuses prises de photos indispensables pour le remontage. A l’issue de cette phase, la nature des travaux de menuiserie a été définie.
B) Restauration
La restauration a concerné essentiellement la menuiserie qui a été effectuée par M. André Philippon, Compagnon du Devoir et meilleur Ouvrier de France en ébénisterie, qui y a consacré plus de 130 heures pour
• réparer des pièces défectueuses en reprenant les entures (pieds des montants notamment)
• redresser les montants pour en supprimer (ou réduire) le gauchissement
• reprendre tous les assemblages pour supprimer tout jeu
• recheviller toute la menuiserie
• confectionner les pièces à remplacer : pieds du banc du tisseur, pieds du banc portant les marches, certains retours, les marches etc...
Le parti retenu consistait d’une part à conserver le maximum des pièces d’origine et d’autre part à effectuer des travaux qui soient visibles, afin de pouvoir identifier ultérieurement ce qui a fait l’objet d’une restauration de ce qui est d’origine.
Tous ces travaux ont été effectués «à l’ancienne», c’est-à-dire à la main, y compris la reprise des entures. La nature du bois d’origine, le hêtre, a été respectée. A cette occasion, il est apparu que ce métier avait déjà fait l’objet de réparations dans le passé, et que certaines pièces avaient été changées à l’économie, notamment des marches qui avaient été remplacées par des marches en platane, bois de mauvaise qualité, peu cher et s’usant très vite.
Pour mémoire, plus de 25 heures ont été consacrées aux fastidieuses opérations de dérouillage des parties métalliques et à la reprise d’autres éléments divers.
C) Remontage Le remontage de ces trois métiers a été étalé dans le temps. Métier de haute lisse et à retours : La priorité a été donnée à la remise en état de ce métier fort rare et très ancien, datant d’avant 1800. Cette restauration a été effec- tuée en 2000 et a demandé plus de 18 jours de travail à M. Scherrer. Tout d’abord, dans son domicile, il a confectionné les 24 lisses de 152 mailles chacune, nécessitant l’emploi de plus de 4 kilomètres de fil de lin. Puis, à Tours, durant 3 semaines, secondé par deux membres de l’association (Maurice van Laer et Françoise Ryall - NDLR), le remontage proprement dit de toute la partie « textile » a été réalisé. Ces opérations longues et très minutieuses ont permis aux deux membres d’ap-
Patrice CANTALEJO met en route le métier à crêtes.
prendre tous les secrets du fonctionnement de ce type de métier. Au total, avec les heures de bénévolat la restauration de ce métier a demandé plus de 600 heures de travail, mais cette restauration n’a été possible que par l’aide financière conséquente apportée d’une part par le mécénat d’entreprises : Touraine Entreprises-Le Club, et d’autre part par le Conseil Général d’Indre-et-Loire. Sans leurs aides indéfectibles, ce métier serait encore dans son piteux état.
Métier à franges torses et métier à crêtes Ces deux métiers de fonctionnement plus simple ont été remontés en 2006 par M. Patrice Cantalejo, passementier. Comme pour le métier de haute lisse et à retours il a fallu refaire les lisses, mais en moindre nombre, puis procéder au remontage et essais de ces deux métiers. Pour aider au financement de cette phase, il a été fait appel aux dons par l’intermédiaire de la Fondation du Patrimoine.
Conclusions Il était indispensable de restaurer ces trois métiers au titre du patrimoine industriel et comme « mémoire de l’ingéniosité » des générations de tisseurs anonymes qui sont arrivés, au fil des améliorations successives, à un tel degré de perfection, notamment pour le métier de haute lisse et à retours, qui se révèle un véritable « ordinateur à ficelles », offrant une palette infinie de possibilités dans la fabrication des rubans. Nos remerciements vont bien sûr au mécénat d’entreprises et au Conseil Général qui ont soutenu financièrement l’association, aux artisans de ces restaurations, M. Scherrer, M. Cantalejo et M. Philippon, espérant que la transmission de leurs connaissances et de leurs savoir-faire perdurera dans le temps.